Par décision du 27 octobre 2022 (n° 21/00766), la Cour d’appel de Limoges a infirmé le jugement rendu le 24 juin 2021 par le Tribunal judiciaire de Limoges, qui avait accueilli les prétentions d’un auteur-chercheur, s’estimant victime d’actes de parasitisme éditoriaux.
Mêlant les critères propres à l’appréciation de la contrefaçon de droit d’auteur à ceux utilisés pour caractériser des agissements de concurrence déloyale, la Cour perd le justiciable…
Contexte juridique : Classiquement, la Cour d’appel de Limoges rappelle la définition prétorienne du parasitisme, qui renvoie à « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans investissement particulier, de sa notoriété, de ses efforts et de son savoir-faire ».
Avatar de l’action en concurrence déloyale, l’action en parasitisme se fonde également sur le régime de responsabilité civile de l’article 1240 du Code civil, qui sanctionne toute faute délictuelle causant un dommage à autrui – la faute résidant ici dans la captation indue et préjudiciable (perte subie ou gain manqué) d’une valeur économique ou intellectuelle créée ou détenue légitimement par un tiers.
Tout comme l’action en concurrence déloyale, l’action en concurrence parasitaire, qui constitue une exception notable au principe de la liberté du commerce et de l’industrie à valeur constitutionnelle institué par le décret d’Allarde (loi des 2 et 17 mars 1791), est traditionnellement accueillie restrictivement par les juridictions.
L’originalité ne peut pas constituer un critère pertinent pour apprécier l’existence d’actes parasitaires
Pour infirmer le jugement de 1ère instance qui avait condamné l’éditeur et son auteur sur le fondement du parasitisme, la Cour d’appel de Limoges invoque en vrac l’absence « d’originalité particulière » de sa « démarche intellectuelle », ses travaux toponymiques portant sur des lieux du « patrimoine universel » et relevant d’une « simple méthode de travail », ce qui exclurait toute possibilité de se prévaloir d’une « protection particulière tirée de la propriété intellectuelle » attachée à ses travaux, lesquels n’auraient pas fait l’objet d’une « reprise servile » (sic), sans compter les différences « fondamentales » entre les ouvrages et leurs publics cibles, ou encore l’excuse « exonératoire » selon laquelle le premier auteur ayant lui-même pu s’inspirer de précédents auteurs, ceci autoriserait tous autres auteurs à exploiter ses propres travaux…
La Cour en concluait que le second auteur et son éditeur avaient pu, sans commettre de faute, commercialiser un ouvrage s’inspirant des travaux du premier auteur, à la condition de ne pas créer de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine de leurs sources, c’est-à-dire en prenant le soin de citer leurs références, comme ils l’avaient fait en citant les neuf ouvrages de l’auteur dont ils s’étaient inspirés, ce qui exclurait tout risque de confusion… N’en jetons plus la coupe est pleine …
L’action en concurrence parasitaire sanctionne l’appropriation d’une valeur économique ou intellectuelle qui n’est pas protégée par le droit d’auteur et ne nécessite pas la démonstration d’un risque de confusion
En attendant peut-être un arrêt de cassation, rappelons que l’action en concurrence parasitaire sanctionne l’appropriation d’une valeur économique ou intellectuelle qui n’est pas protégée par le droit d’auteur, comme le rappelle avec vigueur et constance la Cour de cassation.
Ainsi, l’originalité de cette valeur économique (ou de son support) ne peut jamais constituer une condition de recevabilité de l’action en concurrence parasitaire, qui est « ouverte à celui qui ne peut se prévaloir de droits privatifs, (et) n'est pas subordonné(e) à l'existence d'un risque de confusion » (Cour de cassation, com., 27 janvier 2021, n° 18-20.702).
Il en résulte que si les travaux du premier auteur ont nécessité des investissements (intellectuels, financiers etc.) qui peuvent être démontrés, malgré leur absence d’originalité, et dont ont massivement profité, sans bourse délier, le second auteur et son éditeur, l’action en concurrence parasitaire devait être accueillie, indépendamment du risque de confusion entre les ouvrages, qui ne constitue, dans de telles circonstances, qu’un facteur aggravant du préjudice subi.
Rappelons encore que le fait d’identifier ses sources d’inspiration ou ses références n’exonère évidemment pas le pilleur indélicat de tout risque d’action et de condamnation, que soit sur le fondement de la contrefaçon, lorsque l’œuvre pillée est protégée par un droit d’auteur notamment, ou sur le fondement de la concurrence déloyale ou parasitaire.
Il existe en effet une différence de taille entre le fait de citer brièvement les travaux d’un tiers ou d’y faire référence pour les besoins d’une démonstration, dans des conditions honnêtes et raisonnables, et le fait de les piller massivement pour créer une autre valeur économique ou intellectuelle et s’en approprier indûment les fruits.
C’est ainsi qu’en matière de droit d’auteur, la Code de la propriété intellectuelle a prévu des exceptions, raisonnablement encadrées par la jurisprudence, telles que l’exception d’analyse et de courte citation, l’exception de parodie, l’exception d’actualité etc.
Même si ces dispositions légales ne sont pas transposables en matière de concurrence déloyale ou parasitaire, elles permettent tout de même d’orienter la réflexion avec bon sens. En l’espèce, il est évident que le second auteur pouvait librement étudier des lieux du patrimoine universel identiques à ceux déjà traités par le premier auteur, et même citer, sous forme de courtes citations, certains de ses travaux, sous réserve d’en mentionner toutes les références.
En revanche, l’exploitation massive et préjudiciable des travaux, de la notoriété, des efforts et du savoir-faire de ce premier auteur, aurait dû être sanctionnée, pour autant que ce fut le cas.
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