Le contrat à durée déterminée d’usage, dit « CDDU », est une catégorie particulière de contrat à durée déterminée (CDD) et constitue un contrat court relativement souple, nécessitant toutefois une certaine rigueur dans sa mise en œuvre.
I – La nécessaire justification d’un double motif pour recourir aux CDDU
L’article L.1242-2 3° du Code du travail autorise le recours aux CDD pour les « emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».
L’article D.1242-1 du Code du travail fixe la liste de ces secteurs d’activité, tels que « les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique » et plusieurs accords collectifs prévoient la possibilité de recourir aux CDDU.
Par exemple, l’accord étendu du 29 avril 2016 annexé à la Convention collective du personnel des agences de voyage et du tourisme[i] prévoit la possibilité de recourir aux CDDU pour les salariés embauchés dans le secteur du guidage et de l’accompagnement.
Néanmoins, les juridictions ne se contentent pas seulement de vérifier si l’emploi relève d’un secteur d’activité mentionné à l’article D.1242-1 du Code du travail ou si un accord collectif autorise le recours aux CDDU, mais vérifient également que le recours aux CDDU est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire des emplois concernés.
Selon la formule aujourd’hui consacrée tant pour les CDD « classiques » que pour les CDDU, le recours à ces contrats courts ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Tenant compte du fait qu’une assistante de post-production dans le secteur audiovisuel avait conclu plus de 150 CDDU successifs sur dix ans et avait travaillé plus de 200 jours par an et plus de 40 heures par semaine, la Cour d’appel a retenu que cette salariée avait en réalité « effectué des fonctions d’assistante de post-production de manière continue » même si les « engagements étaient, au plan formel, discontinus ».
La Cour d’appel en a conclu que « l'emploi confié à Mme L. avait un caractère permanent dès la première embauche, et ce durant près de dix années, et que les contrats avaient en réalité dès l'origine pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi régulier lié à l'activité normale et permanente de la société et encourent, donc, leur requalification en contrat à durée indéterminée » (CA Paris, 31 mars 2022, n°21/0883).
De même, la Cour d’appel de Versailles a récemment rappelé que « le recours au contrat de travail à durée déterminée d'usage (CDDU) ne dispense pas l'employeur de motiver le recours qu'il y fait » et que « le seul fait pour ces contrats de mentionner qu'ils sont conclus ‘dans le cadre des dispositions des articles L.1242-2, 3ème alinéa et D.1242-1 du code du travail’ ne permet pas de retenir que le motif précis du recours y est énoncé » (CA Versailles, 30 Juin 2022, n°19/03974).
La Cour d’appel de Versailles a donc requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée pour défaut de mention du motif de recours.
Cette situation est évidemment lourde de conséquences pour l’employeur puisque certaines indemnités seront calculées en fonction de l’ancienneté qu’aura acquise le salarié depuis la conclusion de son premier CDDU…
II – La souplesse attachée aux CDDU tend à s’atténuer peu à peu
Un rapport parlementaire, publié en juin 2021, mettait l’accent sur le recours excessif aux CDDU en raison de l’importante souplesse qu’offre ces contrats courts.
En effet, contrairement aux CDD « classiques » soumis à une durée maximale, renouvellement compris, il n’existe pas de restriction temporelle pour le renouvellement des CDDU, sous réserve de ne pas pourvoir un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
De même, contrairement aux CDD « classiques », dont la succession nécessite de respecter certains délais de carence, un employeur peut conclure plusieurs CDDU successifs avec un même salarié sur un même poste sans respecter un quelconque délai de carence.
A l’issue de son CDDU, le salarié n’est pas en droit de percevoir l’indemnité de fin de contrat ou « de précarité » prévue pour les CDD « classiques ».
En revanche, à l’instar des CDD « classiques », le CDDU est soumis à certaines règles de forme et de fond impératives (mentions obligatoires, remise au salarié dans les 48 heures de son embauche, etc.) dont le non-respect permet au salarié d’obtenir la requalification des CDDU en contrat à durée indéterminée.
Dans l’affaire précitée, la Cour d’appel de Versailles rappelle en effet que « le recours à une succession de CDD irréguliers (ne mentionnant pas le motif du recours) emporte requalification du contrat de travail en CDI depuis le début des relations contractuelles, soit le 23 juillet 2013 », ce qui peut donc être lourd de conséquences pour l’employeur.
Afin de réguler le recours aux CDDU, le rapport parlementaire susmentionné a émis 19 recommandations, parmi lesquelles la création d’un nouveau cadre légal et le renvoi à la négociation collective pour renforcer les garanties accordées aux salariés embauchés en CDDU.
Notons que certains accords de branches ont déjà pris des garanties collectives importantes, parfois similaires à celles prévues par la Loi pour les CDD « classiques », afin de protéger les salariés.
Par exemple, la Convention collective du personnel des agences de voyages et de tourisme prévoyait une « prime de fin de contrat à CDD d’usage » progressive. Cette garantie a été reprise par la nouvelle Convention collective des Organismes de voyage et des guides[ii], applicable depuis le 13 mai 2022, qui prévoit néanmoins une prime unique « égale à 10 % de la rémunération totale brute perçue pendant la durée du contrat est versée au terme de chaque CDD d'usage », ainsi qu’une prime de fin de carrière pour les guides et accompagnateurs ayant plus de 10 ans d’ancienneté.
La Convention collective des organismes de formation prévoit également qu’au terme du CDDU, « le salarié percevra une indemnité dite ‘d’usage’ égale à 6 % de la rémunération brute versée au salarié au titre du contrat dès lors que le contrat n’est pas poursuivi par un contrat à durée indéterminée ».
Il est donc plus que jamais essentiel, lors de la conclusion des CDDU, de s’assurer qu’il n’est pas destiné à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, mais également de respecter le formalisme imposé par les dispositions légales, ainsi que les spécificités des accords collectifs.
[i] [ii] La Convention collective des Organismes de voyage et des guides est issue de la fusion de la Convention collective du personnel des agences de voyages et de tourisme, de la Convention collective des guides interprètes de la région parisienne et de la Convention collective des guides accompagnateurs et accompagnateurs des agences de voyages. Cette nouvelle Convention collective est en vigueur depuis le 13 mai 2022 et devrait faire prochainement l’objet d’un arrêté d’extension.
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